Bonjour à tous
Quel anniversaire !
Au mois de janvier 1642, alors que le groupe hivernait à Saint-Michel, Jeanne Mance songea à
célébrer dignement l'anniversaire du chef de l'expédition, Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve.
Chacun la respectait et lui obéissait « comme si elle eût été leur mère », aussi n'est-il pas
étonnant que les moindres détails de la célébration du 25 janvier furent tenus secret. L'historien
Michel Faillon raconte que ce jour-là :
une heure et demie avant le jour, ils tirèrent, en
effet, des mousquets, ainsi que trois ou quatre boîtes de pierners et un petit canon ou espoir,
pièce d'artillerie, qui, dans les vaisseaux, était montée sur le pont et servait aux descentes.
M. de Maisonneuve, sensible à cette marque d'attention voulut que la joie de ses gens fût complète:
il les fit chômer ce jour-là, les régala et leur donna même du vin, ce qu'il n'avait point
fait encore. Enfin, le soir, une heure après la nuit close, ils firent de nouveau les mêmes
décharges, en présence de M. de Maisonneuve et de mademoiselle Mance et terminèrent ainsi cette
journée.
Cette fête était décidément une réussite parfaite... Mais on avait compté sans les oreilles
attentives et susceptibles du gouverneur, Monsieur de Montmagny de la Nouvelle-France,
qui de Québec entendit les échos de l'anniversaire. Celui-ci s'interrogea sur le droit
qu'avait son hôte de faire tirer du canon sur ses terres et de se comporter ainsi comme son égal.
II n'était pas souhaitable que l'allégresse de l'un trouble le sommeil de l'autre... C'est pourquoi,
très offusqué, le gouverneur de la Nouvelle-France s'empressa de faire arrêter Jean
Gorry, le soldat qui avait chargé et amorcé les canons. Touché dans son orgueil, monsieur
de Maisonneuve ne broncha pas. Jeanne Mance non plus. Jean Gorry put se croire abandonné. Le
silence était, au contraire, une stratégie qui allait être celle du fondateur de Ville-Marie
tout au long de son existence.
Voyant que l'arrestation de Gorry ne provoquait rien; jugeant lui-même qu'il avait fait
d'une petite manifestation de joie, un grand délit, monsieur de Montmagny libéra Gorry que les
Montréalistes accueillirent avec grand plaisir. Le premier février, les hommes destinés à
Montréal furent autorisés par monsieur de Maisonneuve à chômer de nouveau, «tant à cause de
l'octave de sa fête, que par considération pour Gorry qu'il voulait dédommager, en présence
de ses camarades ».
Même festin, mêmes marques de joie, à l'exception des canons qui restèrent silencieux. Pendant
le repas, monsieur de Maisonneuve dit à Jean Gorry qui occupait le bout de la table « Jean Gorry,
tu as été mis à la chaîne pour l'amour de moi, tu as souffert la peine et moi j'ai reçu l'affront;
je t'en aime davantage et pour cela, je te rehausse tes gages de dix écus. « Enfants, quoique
Jean Gorry ait été maltraité, ne perdez pas pour cela courage et buvez tous à la santé du maître
de la chaîne. (En désignant Gorry). Que ne sommes-nous à Montréal: là nous serions les
maîtres! Quand nous y serons établis, personne ne nous empêchera de tirer le canon. »
L'écho, encore une fois, porta ces paroles jusqu'à monsieur de Montmagny qui obligea certains
convives à révéler ce qui avait été dit au banquet. N'y trouvant pas matière à querelle, le
gouverneur de la Nouvelle-France préféra donner désormais des marques d'estime à celui
qu'il avait jusqu'alors considéré comme son rival.
Source : Nos Racines p. 120
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