Bonjour à tous
Bœuf à la nage
Il ne faut pas imaginer que le transport du bétail s'effectuait conventionnellement. Ainsi,
lorsqu'un canotier voulait aller de Québec à Lévis livrer du bétail, il ne couchait ni vache,
ni veau, ni mouton, ni porc au fond de sa frêle embarcation. Les canotiers étaient braves.
Pas fous!
Sachant que, quelle que soit leur taille, les animaux connaissent l'art de nager, ils liaient
l'animal à l'embarcation qui n'avait plus qu'à filer vers sa destination... Philippe-Aubert
de Gaspé donne de ce mode de transport, au XIXe siècle, une description que l'on peut sans
doute (pour un nombre moins considérable de bêtes) reporter deux siècles plus tôt :
« Un troupeau de boeufs parcourait souvent vingt à trente lieues sur ses jambes par les plus
grandes chaleurs pour venir se faire égorger à Québec; c'était déjà, il me semble, une assez
rude besogne pour une fin aussi cruelle, mais ce n'était que le commencement de ses souffrances!
Il lui fallait traverser le fleuve à la nage pour ajouter à ses misères! Le troupeau mugissant
est sur la grève de Lévis, vierge alors de quais, aussi insouciant que l'agneau de Pope qui
lèche la main de celui qui va l'égorger. »
Embarque! Embarque! crie le batelier tenant un aviron en main. Et chacun de ceux qu'il doit
traverser s'arme, qui d'une hart, qui d'un bâton, en guise de rame ou d'aviron, pour l'aider
à accoupler les boeufs à l'entour du canot, suivant leur âge ou leur degré de force apparente
et à les lier par les cornes aux bancs du canot alors à sec sur le rivage.
Cette tâche assez rude accomplie, c'est l'affaire des quadrupèdes de faire le reste de la
manoeuvre. Le plus difficile n'est pas de les obliger à grands renforts de coups et de jurons
formidables à traîner le canot jusqu'à l'eau, mais bien de les contraindre à laisser la terre
ferme et à se livrer à la merci d'un autre élément.
Une fois à l'eau, après un combat opiniâtre, les pauvres animaux se résignent à leur sort et
nagent avec vigueur tant par instinct de conservation que pour éviter les coups de gaule dont
ils ont déjà eu un avant-goût (...) Dès qu'un boeuf à bout de force devient intraitable, qu'il
lutte contre la mort, ce qui arrive rarement prétendent les canotiers, on coupe l'amarre qui
l'astreint au canot et, si le propriétaire tient à la peau de sa bête, il va la chercher à
l'île d'Orléans, au Cap-Rouge ou ailleurs.
Source : Nos racines p 300
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