Bonjour à tous
Bougresse de sorcière
On s'injurie en Nouvelle-France avec, semble-t-il, une joie et une passion vives, presque joyeuses.
On traite le mari aimé de cocu, le chirurgien de boucher et l'honnête homme de voleur.
On ne
lésine pas sur la blessure morale qui doit être mordante et indélébile. On se traite de coquin
et de coquine, de crasseux, de diable, de dinde, d'étourdi,
de fêtard, de farceur, de pisse-frette,
de maquereau et de maquerelle, de gueux ou de lâche. On s'inspire de
faits réels, on laisse
parler sa haine ou, encore, la personne qui injurie se fait le véhicule d'un racontar rendu
public par l'injure.
Dans L'injure en Nouvelle-France, Robert-Lionel Séguin relève plusieurs mots dont il donne la
signification. La plupart de ces injures sont aujourd'hui désuètes et provoquent davantage le
sourire que la colère. Ainsi, il a rencontré banqueroutrice. Bête est une injure
insistant sur
le caractère animal de l'individu. On se traite de charogne et de chienne ou de
dégalonné,
cette dernière expression s'adressant à une personne ruinée. Le filou et le fripon peuvent
être une seule personne, un peu malhonnête, mais habile.
L'injure est une chose, la réaction de (injurié en est une autre, c'est pourquoi certains échanges
de mots crus ont dégénéré en bagarres. Le 8 juin 1687, Catherine Le Gardeur, veuve de Pierre de
Saurel ancien officier du régiment de Carignan, dépose la plainte suivante devant la Prévôté de
Québec qu'elle supplie d'écouter ce que lui a fait la femme du nommé Laplante, un de ses habitants.
"Elle serait venue audit fort avec une baïonnette et une hache à la main et, en arrivant aurait dit
à ladite demoiselle (Catherine Le Gardeur) : Te voilà donc bougresse de sorcière, en jurant le
saint nom de Dieu, disant toujours beaucoup d'injures grosses et diffamatoires à ladite demoiselle
suppliante qui lui aurait dit de se retirer et qu'elle était une bête. Sur quoi ladite Laplante se
serait approchée de ladite demoiselle pour lui donner sa baïonnette du travers du ventre, dont elle
fut repoussée ".
Décidément, madame Laplante en veut à Catherine. Retrouvant l'énergie qu'il lui faut pour
poursuivre son agression, " se jeta une seconde fois sur ladite demoiselle, à dessein de la
tuer; disant qu'elle voulait l'étriper. Comme ladite demoiselle de Sorel se voyait ainsi
maltraitée de parole, elle saisit ladite Laplante par derrière pour lui ôter sa baionnette,
ce qu'elle ne put faire, mais elle lui fut ôtée par un soldat de monsieur de Rompré et comme
ladite demoiselle croyait que ladite Laplante n'avait aucune chose en main, elle la laissa aller.
Et, s'étant retournée, elle voulut couper le visage de ladite demoiselle suppliante avec une hache
qu'elle avait entre ses mains, ce qu'elle aurait fait si l'on ne lui (eut) arrêté le bras ".
Source : Nos racines p 280
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