Dollard des Ormeaux
Bonjour à tous
Dollard des Ormeaux et l'affaire du Long-Sault
Au printemps de 1660, un groupe de 17 jeunes colons de Montréal s'en vont jouer à la guerre,
au Long-Sault, sur la piste des Iroquois. Ils y laissent tous leur peau. Quelque 200 ans plus
tard, l'histoire officielle se saisit du chef oublié de la petite bande d'agités, un certain
Dollard des Ormeaux, et décide d'en faire un héros pur et dur. On lui érige une statue plus
grande que nature avec les matériaux du patriotisme et de la religion réunis. Pendant 100 ans,
Dollard sera porté aux nues, presque canonisé, avant qu'une nouvelle école historique n'en fasse
son souffre-douleur. |
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Jamais un personnage aussi peu intéressant n'aura fait couler autant d'encre
et de salive. Dollard est mort et enterré. Le mythe court toujours.
Dollard des Ormeaux s'ennuie à Ville-Marie, dans l'île de Montréal. Il a 25 ans. Officier de la
garnison, il occupe un petit poste de commandement. Arrivé deux ans plus tôt au Canada, il rêve
de gloire et de richesse. Maisonneuve, le gouverneur très pieux de Montréal, ne lui offre comme
avenir que de défricher une terre de 30 arpents et d'assister aux offices religieux.
La situation est catastrophique en ce début de deuxième moitié du XVIIe siècle. La population de
la Nouvelle-France ne dépasse pas 1500 habitants, dont 400 seulement à Montréal. La colonie est
coupée depuis plusieurs années de l'intérieur du pays par les guerres iroquoises. La traite des
fourrures est bloquée. Les colons vivent à crédit. Les marchands parlent de quitter le pays. Même
les communautés religieuses songent à retourner en France. Une rumeur court que les Cinq-Nations
s'apprêtent à attaquer Québec. Les Iroquois veulent anéantir la colonie française de la vallée du
Saint-Laurent.
C'est dans ce climat perturbé que le jeune Dollard rencontre Maisonneuve, à la fin de l'hiver. Il a
un projet en tête qui pourrait, croit-il, faire respirer un peu Montréal. Le Long-Sault, sur la
rivière des Outaouais, est le point stratégique de la route des fourrures. Les Iroquois y passent
immanquablement de retour de leur saison de chasse hivernale, en route vers fort Orange où ils
vendent les peaux de castors aux Anglais. Les coureurs des bois français, tels Radisson et Des
Groseilliers, et leurs amis les Nez-Percés, n'attendent que l'ouverture du Long-Sault pour ramener
à Montréal, à Trois-Rivières et à Québec leurs précieuses fourrures.
La petite guerre
Ce que Dollard propose à Maisonneuve, c'est de faire une guerre de harcèlement, une guerre à
l'Indienne, ce qu'on appelle la « petite guerre» . Il s'agit de s'embusquer au bon endroit et de
surprendre les bandes de chasseurs dispersés et encombrés par leurs cargaisons de fourrures.
D'autant plus que ces chasseurs ont souvent épuisé leur réserve de poudre.
Dollard a un autre argument de poids. Il a réussi à entraîner dans son projet 16 jeunes colons de
son âge, en plus du solide Lambert Closse, le sergent-major de la garnison, et de deux fils de
famille, Charles Lemoyne et Pierre Picoté de Belestre. Pour leur bonheur, ces trois derniers ne
partiront pas avec lui finalement, retenus qu'ils sont par la saison des semences.
Quand Maisonneuve apprend que 40 guerriers hurons, commandés par le grand chef Annaotaha, et quatre
Algonquins, veulent se joindre à l'expédition, il ne peut plus refuser à Dollard la permission de
partir à la guerre.
Pris à son propre piège
Dollard, ses compagnons et ses alliés indiens arrivent au pied du Long-Sault le 1er mai. À partir
de ce moment, rien ne se passe comme prévu.
Ils n'ont pas le temps de s'installer solidement dans un petit fort abandonné, construit l'automne
précédent par des Algonquins, que les Iroquois arrivent. Dollard est pris à son propre piège.
Ce n'est pas une petite bande de chasseurs iroquois qui se présentent mais bien une armada de canots
montés par autant de guerriers que de chasseurs. Ils sont au moins 300 et fortement armés.
L'expédition de Dollard est tombée sur une partie de l'armée iroquoise sur le sentier de la guerre
totale avec les Français.
Les chasseurs se sont réunis avant d'arriver au Long-Sault. Une partie d'entre eux doit porter les
fourrures à bon port. Les autres feront la jonction avec les 600 guerriers déjà sur pied de guerre
dans les îles de la vallée du Richelieu. La rumeur était vraie. Les Cinq-Nations se préparent à
attaquer massivement la colonie.
Massacrés et mangés
La bataille du Long-Sault a été racontée par le texte et par l'image des centaines de fois. Elle
dure de sept à 10 jours, selon les différents récits tous écrits par des gens qui n'étaient pas
sur place. Un seul Huron survivra au massacre et pourra donner sa version des faits. La bataille
du Long-Sault relève autant de la littérature que de l'histoire.
Coincés dans leur fort pourri, sans eau potable et sans possibilité de fuir, les 17 jeunes Français
se battent avec l'énergie du désespoir. Les Iroquois vont chercher du renfort dans les îles du
Richelieu. La plupart des Hurons désertent, croyant ainsi sauver leur vie. Ils sont massacrés
sur-le-champ.
Quand les Iroquois prennent finalement le fort, il ne reste de vivants que cinq Français et
quatre Hurons. Un des prisonniers français, trop blessé pour être transporté, est torturé à mort
sur les lieux mêmes du combat.
Les quatre autres Français sont partagés entre les Agniers, les Onneiouts et les Onontagués. Ils
sont amenés dans les villages iroquois, torturés et mangés jusqu'au dernier morceau, selon la
coutume guerrière des nations indiennes.
Les Cinq-Nations remettent à plus tard l'invasion de la vallée du Saint-Laurent. Radisson et Des
Groseilliers pourront profiter de l'accalmie pour ramener à Québec 60 canots de fourrures de
première qualité. Cette « manne céleste », selon un témoin de l'époque, relancera quelque peu
l'économie moribonde.
Une légende épique
À l'époque des faits, les chroniqueurs se font remarquablement discrets à ce sujet. Marie Guyart de
l'Incarnation signale courtement le massacre du Long-Sault sans nommer Dollard. Les Relations des
jésuites en parleront indirectement et seulement pour mousser en France leurs projets locaux.
Une remarquable thèse de doctorat, soutenue, avec succès, à l'université Laval, en mars dernier,
démêle l'écheveau de l'affaire du Long-Sault. Appliquant la sémiologie à l'histoire, Patrice Groulx
fait une relecture critique de tout ce qui a été écrit et dit à propos de « l'exploit» de Dollard.
L'historien s'intéresse à la place des Amérindiens dans l'identité québécoise. Il montre et démontre
comment et pourquoi l'idéologie nationaliste et le prosélytisme religieux ont créé et encouragé le
mythe de Dollard des Ormeaux.
Durant près de deux siècles, les historiens et les chroniqueurs ignorent cet épisode des guerres
iroquoises. Seuls le jésuite Charlevoix et F.-X. Garneau y consacrent un bref paragraphe.
Nous ne perdions rien pour attendre. Au XIXe siècle, le manuscrit de L'histoire de Montréal, de
Dollier de Casson est retrouvé. Dollier est supérieur des Sulpiciens, les seigneurs de Montréal.
Il a écrit son ouvrage 12 ans après l'affaire du Long-Sault. Les abbés Jean-Baptiste Ferland et
Étienne-Michel Faillon ne se tiennent plus. Ils vont pouvoir se lancer dans une entreprise de
décervelage rarement égalée dans l'historiographie québécoise.
Ferland et Faillon écriront, chacun de leur côté, ce que l'historien Patrice Groulx appelle une
« histoire canonique» de Dollard et de la bataille du Long-Sault. L'historien André Vachon, qui
signe l'article sur Dollard dans le dictionnaire biographique du Canada, qualifie cette démarche
historique « d'émotive et de grandiloquente» . Marcel Trudel, pour sa part, accusera les
panégyristes du XIXe et du XXe siècle d'avoir transformé la réalité en « un pieux chapitre
martyrologique, en un roman invraisemblable» .
Ferland fait de Dollard et de ses compagnons des « martyrs de la foi et de la patrie» . Faillon,
lui, perd carrément les pédales. Il s'agit, écrit-il, « du plus beau fait d'armes de l'histoire
moderne» . Il va encore plus loin dans l'emphase: « Dans l'histoire des Grecs et des Romains,
rien n'est comparable à l'action de ces braves... »
Ferland et Faillon concluaient en affirmant que Dollard avait donné sa vie au nom de la foi et de
la patrie ; il avait sauvé la colonie.
Pendant de nombreuses années, les historiens se rallient à cette thèse. E.-Z. Massicotte et Gustave
Lanctôt y mettent un bémol, mais sans contredire fondamentalement l'histoire officielle.
Il faudra attendre 1932 avant qu'un historien de l'université McGill, E. R. Adair, ne mette la
hache dans cette belle unanimité. Pour Adair, non seulement Dollard n'a pas sauvé la Nouvelle-France,
mais il a exacerbé l'ardeur belliqueuse des Iroquois. Le jeune ambitieux voulait se racheter une
conduite. Il a fait plus de mal que de bien. Adair relègue Dollard au musée des mythes historiques.
La thèse de l'historien anglais fait monter aux barricades les historiens de la tradition, le
chanoine Lionel Groulx en tête. Toucher à Dollard, c'est s'en prendre à la patrie et à la religion
catholique.
Durant la première moitié du XXe siècle, le culte de Dollard atteindra son paroxysme. On organise
des commémorations annuelles et des pèlerinages au Long-Sault qui attirent des milliers de personnes.
La littérature et le théâtre s'en mêlent. Patrice Groulx a compté 11 pièces de théâtre jouées au
début du siècle et toutes chantant la gloire de Dollard.
À partir du milieu du siècle, les historiens sont divisés. Le grand public se fait sa propre opinion.
Pour les uns, Dollard est un héros authentique à l'égal de Champlain, Frontenac ou d'Iberville.
Pour les autres, il n'est qu'un aventurier et un voleur de fourrures.
Quand, durant les années 1960, l'écrivain Jacques Ferron suggère de remplacer le nom de Dollard
par celui du patriote Chénier dans le grand livre de l'héroïsme national, les historiens choisissent
de rentrer sagement à l'université et de mettre fin à la polémique publique.
Ce qui n'empêche pas les Québécois de fêter qui la reine Victoria, qui Dollard, le troisième lundi
de mai.
Sources: le dictionnaire biographique du Canada ; La bataille du Long-Sault et la place des
Amérindiens dans l'identité québécoise, une thèse de Patrice Groulx; Histoire de la Nouvelle-France,
La seigneurie des Cent-Associés, de Marcel Trudel.
Source : Louis-Guy Lemieux
Le Soleil
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