Frontenac
Bonjour à tous
Un héros fabriqué
L'histoire officielle en a fait un héros national. La vérité, c'est que Frontenac était un
gouverneur incompétent, un piètre soldat et un trafiquant sans foi ni loi. Durant ses deux
longs mandats à la tête de la colonie, il n'aura poursuivi qu'un seul but : s'en mettre plein
les poches. Il est l'exemple parfait du héros fabriqué de toutes pièces.
Le 16 octobre 1690, à 6 h du matin, une flotte anglaise de 32 vaisseaux, partie de Boston sous
le commandement de William Phips, se présente devant Québec.
Au milieu de la matinée, une chaloupe portant le drapeau blanc se détache du vaisseau amiral.
L'émissaire Thomas Savage met pied à terre devant ce qui est aujourd'hui la Traverse de Lévis.
Aussitôt, le major François Provost, qui commande la milice locale, lui bande les yeux et le
conduit devant Frontenac.
Savage est porteur d'un ultimatum qui demande la reddition de la colonie dans un délai d'une
heure, à défaut de quoi Québec sera prise par la force des armes.
Le gouverneur Frontenac, entouré de ses officiers, répond d'une voix tonitruante : «Je n'ai
point de réponse à faire à votre général que par la bouche de mes canons et à coups de fusils...»
Frontenac vient de passer à l'Histoire et d'entrer au Panthéon des héros de la Nouvelle-France.
Ce qu'il faut savoir, c'est que l'expédition de Phips était déjà un échec avant même d'arriver
devant Québec.
Pour répondre aux attaques françaises sur la Nouvelle-Angleterre, les Anglais avaient décidé
d'envahir la Nouvelle-France. Première étape : prendre Montréal et Québec.
Une armée de 2500 hommes (1000 soldats anglais et 1500 guerriers iroquois), commandée par
Fitz-John Winthrop, devait attaquer Montréal par la vallée du Richelieu. De son côté, la flotte
de Phips avait planifié de remonter le Saint-Laurent jusqu'à Québec, après avoir pris Port-Royal,
en Acadie.
Le premier corps expéditionnaire est décimé par la variole avant d'atteindre Montréal. Winthrop
ne reçoit pas ses vivres et ses munitions. Il décide d'abandonner et de se replier avec son armée
malade.
Frontenac était à Montréal avec toutes ses troupes. Québec avait été laissée sans défense, même
si on savait depuis juin que Phips tenterait de remonter le fleuve. Devant la retraite inespérée
de Winthrop, Frontenac a le temps de revenir à Québec pour attendre Phips.
Les choses ne vont pas mieux pour William Phips. Il a été retardé par le mauvais temps et des
vents contraires. Ses hommes avaient tenté de se ravitailler à Rivière-Ouelle. Un petit groupe
de paroissiens dirigés par le curé Pierre de Francheville, qui avait sorti son fusil de chasse
pour la circonstance, les avaient repoussés sans perdre un seul homme. Ce sont eux les vrais
héros de 1690.
Quand la flotte anglaise arrive enfin devant Québec, au milieu d'octobre, il est déjà bien tard.
Il fait un froid de canard. Une première tentative de débarquement, à Beauport, est un échec.
Des miliciens venus de Trois-Rivières et de Montréal repoussent les troupes anglaises et les
reconduisent à coups de mousquets jusqu'à leurs bateaux.
Frontenac peut maintenant organiser son spectacle devant l'émissaire de Phips. Le gouverneur a
eu une chance de cocu. S'ils étaient arrivés quelques jours plus tôt, les Anglais auraient pris
Québec sans coup férir. Frontenac avait laissé la ville la plus importante de la Nouvelle-France
sans défense autre que des civils mal armés. La flotte anglaise a été vaincue par la malchance
et par un hiver exceptionnellement précoce.
Un soldat de fortune
Le comte Louis de Buade de Frontenac et de Palluau naît à Saint-Germain, le 22 mai 1622. Il est
fils unique d'une vieille famille de la noblesse d'épée. Son parrain est nul autre que le roi
Louis XIII. Ses origines expliquent les protections dont il jouira, jusqu'à la fin, à la cour
de France.
Frontenac fait l'essentiel de sa jeune carrière militaire comme courtisan à la cour de Louis
XIV. Il s'y fait remarquer pour son train de vie très au-dessus de ses moyens. En 1648, il
réalise le meilleur coup de sa vie. Lui qui est, dit-on, laid comme un pou, il épouse Anne de
La Grange, l'une des plus riches et des plus belles femmes de France dont on trouve encore
aujourd'hui le portrait au château de Versailles.
Étrange couple. Anne ne viendra jamais au Canada. Pourtant, elle intriguera toute sa vie dans
l'entourage du roi en faveur de son mari.
Après une expérience aussi courte que désastreuse dans l'armée qui occupe l'île de Crète, il
est nommé gouverneur général de la Nouvelle-France. Il compte y faire fortune rapidement.
Son arrivée à Québec coïncide avec le départ de l'intendant Talon. La colonie est calme et
pleine d'espoir. En quelques mois, Frontenac en fera le « royaume de la zizanie» , selon
l'expression de Jacques Lacoursière.
Le ministre Colbert néglige de lui donner un mandat clair et retarde à nommer un nouvel intendant.
Alors, le nouveau gouverneur s'arroge tous les pouvoirs. Il est en conflit avec l'évêque François
de Laval, avec le Conseil souverain, avec le gouverneur de Montréal et avec les principales
familles de la colonie.
Il est tellement occupé à installer des postes de traite à l'ouest, ce qui ruine le commerce
des Montréalais, qu'il en oublie la menace iroquoise. La situation devient à ce point critique
que Colbert doit le remplacer par un vrai soldat de métier, Le Febvre de La Barre.
Frontenac a laissé la colonie virtuellement sans défense. Il n'existe pas de places fortifiées
où les familles de colons pourraient se mettre en sécurité. La milice, sans armes et sans
instruction militaire, est à tout prendre inexistante. Le massacre de Lachine n'est plus très
loin.
Le retour du "sauveur"
En France, Frontenac, aidé de ses parents et amis, se cherche un nouveau job. Il papillonne
autour de Louis XIV et de ses ministres. Durant son premier séjour au Canada, il a écrit à sa
femme de longues lettres qui racontent ses exploits militaires en fardant la vérité. La bonne
Anne se charge de les lire à la cour émerveillée.
À Québec, le gouverneur Denonville a remplacé La Barre. Il envoit un rapport alarmant sur
l'état de la colonie. Pour mater les Iroquois, il recommande d'attaquer la ville de New York,
base d'approvisionnement des Cinq-Nations. L'Anglerre déclare de nouveau la guerre à la France.
Louis XIV accepte l'idée de Denonville.
Il faut un chef pour commander l'expédition contre New York. Les meilleurs officiers supérieurs
sont déjà en campagne contre la coalition des puissances européennes. Il reste, sur la tablette,
le comte de Frontenac. Et, tant qu'à faire, on le nomme aussi gouverneur de la Nouvelle-France.
Certains historiens ont prétendu que Frontenac avait été nommé de nouveau pour venger le massacre
de Lachine. C'est faux. Le gouverneur avait sa nomination dans la poche quatre mois avant la
grande attaque iroquoise.
La bataille de New York ne se fera jamais. Frontenac se contente d'envoyer des miliciens canadiens
brûler des villages dans la région d'Albany et assassiner leurs habitants. C'est pour répondre à
ces attaques que Phips fera le siège de Québec.
Frontenac mène un train princier au château Saint-Louis, à Québec. Pendant ce temps, Callières, le
gouverneur de Montréal, et Vaudreuil, le commandant des troupes régulières, organisent, à partir
de Montréal, une guerre d'embuscades fort efficace contre les Iroquois.
Le gouverneur ne se déplace qu'en grand équipage pour aller signer les traités de paix. Il s'est
fait construire un immense canot armorié dans lequel il peut faire le voyage à Montréal bien
confortable dans une sorte de trône royal. Et quand il faut absolument aller recueillir les
lauriers de la victoire, il se déplace, en forêt, dans une chaise à porteurs tirée par des Indiens.
Le marché du castor
On s'aperçoit bientôt en France que les fonds envoyés à Frontenac pour la guerre contre les Iroquois
et les Anglais servent, en réalité, à organiser des expéditions de traite au profit du gouverneur et
de ses associés. Il détourne ainsi des centaines de milliers de livres. Une fortune.
Le pillage de la Nouvelle-France marche si fort, à la fin du XVIIe siècle, que le marché des
fourrures s'effondre en Europe. Louis XIV et son ministre demandent à Frontenac de réduire la
production. Le gouverneur n'en fait qu'à sa tête. Les cargaisons de peaux de castor du «pays
d'en haut» continuent d'engorger les ports français.
Le roi perd patience. Au moment où il s'apprête à le congédier définitivement, Frontenac meurt
d'une crise d'asthme. Nous sommes le 28 novembre 1698. Cela fait plus de 20 ans que la même
bande pille le pays.
La statue de bronze de Frontenac est installée dans la façade de l'Hôtel du Parlement, à Québec.
Il faut la regarder attentivement. C'est celle de l'un des plus grands brigands de l'histoire
de la Nouvelle-France.
Sources : Le dictionnaire biographique du Canada ; Histoire populaire du Québec, de Jacques
Lacoursière ; Le Boréal Express
Source : Louis-Guy Lemieux
Le Soleil
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