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Généalogie et Génétique
Le jeudi 18 août 2005
La généalogie au secours de la génétique
Les codes génétiques ne servent pas seulement à prouver la culpabilité des meurtriers ou à disculper
des suspects. Ils peuvent désormais identifier les premiers habitants qui ont introduit des
maladies rares au Québec au tout début de la colonie. Et cela avec une étonnante précision.
Une passionnante enquête vient de montrer qu'une «fille du Roy» a légué une mutation génétique
à ses propres filles, responsable de la névrite optique de Leber. Trois siècles plus tard,
certains de ses descendants perdent la vue, parfois en quelques minutes et sans avertissement.
Les résultats sont publiés dans la dernière livraison du American Journal of Human Genetics,
plus grande revue américaine de génétique humaine.
Soucieux de la confidentialité, les chercheurs ne nomment pas cette immigrante, envoyée par
Louis XIV pour se marier et contribuer au peuplement de la Nouvelle-France. Mais ils donnent
tellement de détails que la simple consultation d'un dictionnaire généalogique permet de
trouver son nom.
La «coupable» s'appelle Catherine Suret. Elle est née au centre de Paris, dans la paroisse de
Saint-Sulpice, au milieu du XVIIe siècle. En 1669, âgée d'une vingtaine d'années, elle s'embarque
pour la Nouvelle-France avec d'autres jeunes femmes, la plupart pauvres. On les appelle «filles
du Roy» parce que Louis XIV leur donnait une dot de 50 à 100 livres si elles acceptaient d'émigrer.
Peu de temps après son arrivée, Catherine Suret se marie avec un dénommé Nicolas Fasche. Le couple
s'installe à Charlesbourg, en banlieue de Québec. Il a 10 enfants. Cinq filles se marient dans la
région, mais la plupart des arrière-arrière-petites-filles de l'aïeule se marieront dans les
environs de Montréal.
Transmission par la mère
Les chercheurs se sont intéressés aux filles car la mutation génétique responsable de la névrite
optique de Leber se transmet seulement par la mère, même si elle affecte des garçons sept fois
sur 10. Il leur a fallu accomplir un véritable travail de détective avant d'identifier Catherine
Suret avec certitude.
La maladie de Leber se manifeste de façon dramatique. En général, le malade a une enfance normale.
Soudain, alors qu'il entre dans l'adolescence ou l'âge adulte, il devient presque totalement
aveugle. Il perd la vue centrale et n'est plus capable de lire. Il n'existe aucun traitement
efficace. La névrite peut se manifester sous forme de crises, suivies de périodes de rémission.
Souvent, les épisodes se répètent.
Plus d'une centaine de Canadiens français souffrent de la maladie de Leber. La grande majorité
d'entre eux - 86 % - partagent la même mutation génétique, cotée sous le numéro matricule T14484C.
Bon nombre d'entre eux habitent à l'ouest de Montréal, dans les environs de Vaudreuil ou de
Saint-Eustache. Signe particulier: 30 % des malades porteurs de ce matricule retrouvent la vue
après leurs épisodes, un taux de guérison plus élevé qu'avec les autres mutations.
14 participants
Au cours des années, la plupart des malades québécois ont été référés par leurs médecins à
l'Institut neurologique de Montréal. Dans un premier temps, les chercheurs ont communiqué avec
ces médecins qui, à leur tour, ont demandé à leurs patients l'autorisation d'utiliser les
résultats de leurs examens génétiques à des fins de recherche. Plus d'une centaine de malades
ont été joints, mais seulement 14 ont accepté de participer à l'étude.
Les chercheurs leur ont demandé les noms de leurs parents et de leurs grands-parents. Puis ils
ont consulté de vastes banques de données généalogiques, notamment celles de l'équipe BALSAC
à l'Université du Québec à Chicoutimi, qui a informatisé des centaines de milliers d'actes de
mariage du XVIIe au XIXe siècle.
De fil en aiguille, ils ont constaté que 12 de ces 14 malades partageaient la même ancêtre:
Catherine Suret. Ils n'ont pas pu reconstruire la généalogie du 13e et ont constaté que le 14e
n'avait pas le même matricule génétique, et n'était donc pas un descendant de cette fille du Roy.
Précieux actes civils
«C'est la première fois qu'un pionnier - dans ce cas, une pionnière - est identifié de façon
certaine comme étant le responsable de l'introduction d'une mutation génétique», affirme un
des auteurs de l'étude, Bernard Brais, du laboratoire de neurogénétique du Centre hospitalier
de l'Université de Montréal.
«Les recherches précédentes aboutissaient à des résultats erronés, identifiant le plus souvent
un des couples qui ont tellement contribué à la population québécoise qu'ils se retrouvent dans
presque toutes les généalogies. L'information généalogique qui provient des actes civils nous
donne une information de qualité vérifiable au niveau génétique. Elle nous aide à comprendre
pourquoi on retrouve plus de porteurs de certaines mutations génétiques dans certaines régions.»
La névrite optique de Leber n'est qu'une maladie héréditaire parmi d'autres. Les quelque six
millions de Québécois d'origine française sont les descendants d'environ 10 000 Français
seulement. Il a suffi que quelques colons soient porteurs de mutations génétiques pour que
des centaines de personnes en soient affectées des siècles plus tard.
La population de certaines régions descend d'un nombre encore plus restreint de pionniers. Bien
des habitants du Saguenay partagent ainsi les mêmes ancêtres originaires de Charlevoix. On y a
décelé des maladies presque inexistantes ailleurs, comme l'ataxie spastique de Charlevoix (qui
atteint la moelle épinière et provoque des pertes d'équilibre), ou plus répandues, comme la
fibrose kystique. L'identification des pionniers qui ont introduit ces maladies ouvre donc
des possibilités de campagne de prévention, souligne le Dr Brais, mais elle soulève aussi bien
des problèmes d'éthique.
Source : André Noël
La Presse, le jeudi 18 août 2005
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