Bonjour à tous
À chacun son jardin
« Au XVIIe siècle, affirme Robert-Lionel Séguin, la ville compte plus de jardins potagers que la
campagne. Ce qui ne signifie pas que l'habitant se désintéresse de l'horticulture. La plupart
cultivent les fruits et légumes dont ils ont besoin. Certains vendent leurs produits aux
habitants des villes. Le plus ancien maraîcher de Montréal serait Christophe Gaillard dit
le Prieur établi dans la colonie en 1653.
Pierre Boucher fait l'inventaire de ce que l’on retrouve dans un jardin canadien vers les
années 1660 « Toutes sortes de navets, rabioles, betteraves, carottes, panais, salsifis, et
autres racines viennent parfaitement et bien grosses. Toutes sortes de choux viennent aussi à
leur perfection, à la réserve des choux-fleurs que je n'ai point encore vus.
Pour les herbes :
oseille, cardes de toute sorte, asperges, épinards, laitues de toute sorte, cerfeuil, persil,
chicorée, pimprenelle, oignons, poireau, ail, cive, hysope, bourrache, buglosse et généralement
toutes sortes d'herbes qui croissent dans les jardins de France; les melons, les concombres,
les melons d'eau et calebasses y viennent bien. »
Ceux qui ne possèdent pas de jardin en propre peuvent en louer un. Ainsi, en 1697, « à Pierre
Chantereau loue de Catherine Gauchet un jardin situé à Montréal. Par contrat, le locataire
s'engage à « entretenir bien et dûment, et en bon état ledit jardin, y planter les arbres que
ladite demoiselle lui baillera, lesquels il aura soin du mieux qu'il lui sera possible. En
outre, pendant le présent bail, ledit preneur fournira la maison de ladite demoiselle Gauchet
des herbes et autres choses que le jardin produira et pour sa provision d'été et hiver.
Ledit preneur fera mener audit jardin huit tomberées de fumier que ladite demoiselle Gauchet
paiera et ce, pour une fois seulement. Et à la fin du présent bail, ledit preneur rendra ledit
jardin en bon état et ne pourra ledit preneur céder son droit du présent bail à qui que ce soit
sans le consentement de ladite demoiselle Gauchet. Ladite demoiselle se réserve tous les arbres
de la pépinière et aussi ceux qui sont dans ledit jardin ».
Les vergers ne sont pas rares en Nouvelle-France. Le père Paul Le Jeune, dans la Relation de
1634, manifeste quelque appréhension sur la viabilité des arbres fruitiers domestiques au
Canada. « Pour les arbres fruitiers, écrit-il, je ne sais ce qui en sera. Nous avons deux
allées, l'une de cent pieds et plus, l'autre plus grande, plantées de sauvageons de part et
d'autre fort bien repris; nous avons huit ou dix entes de pommiers et poiriers qui sont fort
bien reprises; nous verrons comment cela réussira. J'ai quelque créance que le froid nuit
grandement aux fruits; dans quelques années, nous en aurons l'expérience. On a vu ici
autrefois de belles pommes.
La crainte du père jésuite est fondée et le printemps de 1670 est désastreux. « Il y avait encore
de la glace dans notre jardin au mois de juin, confie Marie de l'Incarnation à la supérieure
des Ursulines de Tours; nos arbres et nos entes qui étaient de fruits exquis en sont morts.
Tout le pays a fait la même perte, et particulièrement les Mères Hospitalières qui avaient un
verger des plus beaux qu'on pourrait voir en France.
Les arbres qui portent des fruits sauvages
ne sont pas morts; ainsi Dieu nous privant des délicatesses et nous laissant le nécessaire, veut
que nous demeurions dans notre mortification et que nous nous passions des douceurs que nous
attentions à l'avenir.
Les premiers pommiers semblent être des arbres du pays que les habitants ont tenté de
« civiliser ». On importe quand même de France quelques plants. Pierre Boucher écrit en 1664,
« On n'a point planté ici d'arbres de France, sinon quelques pommiers qui rapportent de fort
bonnes pommes et en quantité; mais il y a bien peu de ces arbres. »
Quelques vergers comprennent des pruniers. Ces derniers sont surtout d'origine locale. Boucher
note la présence de pruniers qui donnent des prunes rouges de la grosseur des prunes de Damas,
« qui sont d'assez bon goût, mais non pas toutefois si bon que celles de France ».
Le coût d'importation des vins de France incite quelques habitants à faire l'expérience de la
vigne. Boucher parle que l'on a éprouvé la vigne de France « qui y vient assez bien ».
Vingt ans plus tard, le gouverneur Denonville songe à inviter les Montréalais à planter de la
vigne. Pierre Boucher explique, à sa façon, pourquoi les habitants ne possèdent pas de vignobles
comme les Français.
« Mais pourquoi ne faites-vous donc pas de vignes? lui demande-t-on. Je réponds à cela qu'il
faut manger avant que de boire; et par ainsi qu'il faut songer à faire du blé autant que de
planter de la vigne; on se passe mieux de vin que de pain; c'est tout ce qu'on a pu faire que de
défricher des terres pour faire des grains et non autre chose.
Selon lui, la vigne sauvage donne un certain vin. « II y a aussi abondance de vignes sauvages
qui portent des raisins; le grain n'est pas aussi fourni; mais je crois que si elles étaient
cultivées, elles ne différeraient en rien; le raisin en est un peu âcre et fait de gros vin, qui
tache beaucoup et qui d'ordinaire est meilleur un an après que l'année qu'il est fait.
Le botaniste Jacques Rousseau fait remarquer qu'ici Boucher se trompe.
« Notre vigne (vitis riparia), écrit-il, s'éloigne considérablement de l'espèce cultivée, et tous
les soins des viticulteurs ne pourraient lui faire acquérir les propriétés de l'autre. Ne blâmons
pas l'auteur : la génétique ne naîtra qu'au vingtième siècle.
Source : Nos racines p 293
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