Bonjour à tous
La mort de l'explorateur Nicolet
En cet après-midi d'octobre 1642, un messager envoyé par le gouverneur des Trois-Rivières arriva à Québec demandant l’aide
immédiate de Jean Nicolet. Des Algonquins voulaient mettre à mort un prisonnier Agnier. Cette exécution mettrait en danger la
vie de tous les habitants des environs car les iroquois menaçaient de se venger sur la population. Jean Nicolet avait la
confiance des indiens et lui seul pouvait leur faire entendre raison et faire libérer le prisonnier.
Devant se rendre aussi vite que possible aux Trois-Rivières, il demanda à François de Chavigny, qui partait le lendemain,
de devancer son départ. La pleine lune éclairerait amplement le fleuve qui semblait calme et paisible. L'épouse de M. de
Chavigny trouvait le risque grand mais le caractère aventureux de son mari, appuyé par Jean, eut raison d’elle et le groupe
parti vers les 7 heures du soir. Jean Ferré et Noël Girardeau, qui avaient entière confiance en François menaient la barque
allègrement et sûrement. Chavigny seraient en vue avant l’aube.
Malheureusement, un vent du nord-est se leva et provoqua une
tempête sournoise et inattendue. Les hommes avaient du mal à maintenir la barque à flot et la voile devenait de plus en plus
difficile à manoeuvrer. Matelot durant plusieurs années, Noël n’avait jamais vu de tempête aussi violente et subite et autant de
courants et contre-courants. Les vagues arrivaient de partout, écoutant les vents de l’est venant du large et les vents de l’ouest
arrivant des racines du fleuve. Sous les ordres de François, ils trimaient, écopaient et tentaient désespérément d’éviter les
vagues qui devenaient de plus en plus grandes et les rafales imprévisibles venaient de tous sens.
La berge n’était qu’à une
centaine de mètres lorsqu’une vague énorme renversa la barque sans pitié, envoyant par le fond hommes et matériel. Les hommes
réussirent à s’agripper tant bien que mal à la chaloupe renversée qui était ballottée sur les flots déchaînés. La pluie glaciale
leur piquait le visage de mille coups d’aiguilles ne leur laissant aucun répit. François réussi à retenir Jean Nicolet qui ne
savait pas nager, pas plus que les deux autres. La tempête devint de plus en plus violente, les vagues de plus en plus
imposantes. Les hommes ne pourraient pas tenir bien longtemps. François leur criait de tenir bon, que la berge n’était pas
loin. Un après l’autre, les deux compagnons virent leurs forces les abandonner et se perdirent dans la noirceur et les flots
glacés.
Seul restaient François et Jean, bien agrippé l’un à l’autre ainsi qu’à la chaloupe. Il n’était pas question d’abandonner.
François allait aider Jean à nager
jusqu’à la rive proche et ils seraient sauvés. Jean ne l’entendit pas ainsi. Sentant ses forces le quitter et sachant
qu’il serait la cause de la mort de son compagnon, il pria celui-ci de le laisser.
- Laissez-moi, je vous en conjure. Il y a eu bien assez de morts. Je ne ferai que vous emmener avec moi dans la noyade
et vous le savez.
François refusa de le laisser, s’agrippant encore plus fort à son bras.
- Je vous emmènerai avec moi, j’en fais le serment.
- Je refuse d’être la cause de votre perte. Dieu me rappelle à lui, j’irai selon sa volonté. Ayez soin de ma femme et ma
petite fille, je vous les confies.
Et ce disant, il se dégagea prestement de l’emprise de François et se perdit dans la noirceur des flots.
François cru devenir fou et faillit se laisser aussi emporter mais la vue de sa douce Éléonore et la petite Marie-Madeleine
lui donna courage et force. Il laissa la barque qui flotta quelques brefs instants avant de couler à son tour, et nagea vers
la rive proche. Le froid était si violent que ses membres semblaient vouloir se détacher de son corps. Il nagea péniblement,
s’efforçant de ne pas penser à ce qui venait de se passer. Il devait arriver à la rive, il voulait vivre.
Alors qu’il croyait ne plus pouvoir y arriver, il sentit la terre sous ses pieds. Il fit quelques pas et atteint enfin le
rivage, tombant face contre terre. La lune n’éclairait plus la nuit qui était maintenant noire. La pluie continuait de tomber
sans arrêt et le vent soufflait de plus en plus fort. Il ne devait pas rester ainsi, transit et épuisé. Il devait marcher et
retrouver le chemin. S’il arrêtait, la mort le surprendrait.
Heureusement, au cours de l’année qui venait de s’écouler, il avait appris à se diriger en foret et connaissait bien les abords
du fleuve, y étant passé souvent. Il marcha en direction de Québec, ne s’accordant aucun moment de répit. Le froid devenait
insupportable et ses vêtements ainsi que ses cheveux se recouvraient de glace, rendant la démarche encore plus pénible. Il
marcha ainsi jusqu’au lever du soleil et, grâce au ciel, fut en vue du monastère des Jésuites. Il n’eut pas la force de frapper,
tombant devant la porte, inanimé.
Les Jésuites le trouvèrent inconscient. À leur grande surprise, il était vivant. D’une blancheur livide, sa bouche avait une
couleur bleutée. Son corps entier était tellement froid qu’il en était rigide. Il ne respirait qu’à peine et la vie semblait
vouloir le quitter. Il fallait agir et vite. Prestement, ils lui retirèrent ses vêtements et l’enroulèrent dans de chaudes
couvertures. Ne pouvant lui faire avaler quoi que ce soit, ils ne pouvait que le garder bien au chaud et attendre qu’il ne
revienne à lui. L’espoir de le voir revenir à la vie s’estompait à chaque heure. Le délire s’empara de lui et il marmonnait
des paroles incompréhensibles. Qu’était-il arrivé? On ne le savait pas encore. Lui seul pourrait le dire dès son réveil.
Au troisième jour, l’impossible survint. Son corps repris quelques couleurs, le délire s’estompa et il ouvrit les yeux. Éléonore
fondit en larmes tant la délivrance était grande. François semblait perdu, ne sachant trop où il se trouvait. Il revint lentement
à la vie et pu évoquer sa nuit d’enfer dans les eaux glacées.
Il tenta désespérément de se lever afin d’aller à la recherche de ses compagnons et les sauver de la noyade. Ses espoirs de les
voir arriver furent complètement anéantis lorsqu’on lui apprit que leur corps avaient été repêchés non loin de Québec.
Une touchante cérémonie eut lieu en mémoire des trois hommes. Toute la colonie assista aux funérailles ainsi que François,
soutenu par Éléonore et Antoine, son fidèle serviteur. Marguerite Couillard, la jeune veuve de Jean était aussi présente. À
peine âgée de 16 ans, elle tenait dans ses bras sa petite fille née au printemps.
Source : extrait du roman historique Éléonore deGrandmaison, seigneuresse en Nouvelle-France
Auteur : Madame Rina Auger
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