Bonjour à tous
Était-ce la peste?
Le 10 juin 1740, le navire Le Rubis quitte La Rochelle pour le Canada. II est commandé par
monsieur de La Saussaye et porte, à son bord, François-Louis Pourroy de Lauberivière, cinquième
évêque de Québec. Celui-ci est attendu impatiemment, la Nouvelle-France n'ayant plus d'évêque
depuis le départ de monseigneur Pierre-Herman Dosquet, l'année précédente.
La traversée est plutôt longue puisque, au cours de la première semaine d'août, Le Rubis n'est
pas encore entré dans les eaux du golfe Saint-Laurent. À environ 640 kilomètres de Québec, un
novice des pères jésuites, appelé Régent, est atteint d'une mauvaise fièvre. On réussit à le
soigner mais, raconte le jésuite Claude-Joseph-Marie Canot, " sa maladie n'était qu'un présage
imparfait de celle dont tout le vaisseau allait être infecté. Était-ce la peste?
Comme quelques-uns ont voulu l'assurer, je n'en crois rien. Quoi qu'il en soit, c'était un bien
triste spectacle de voir de pauvres malheureux les uns sans mouvement, les autres agités d'une
fièvre si violente que quelques-uns se sont précipités dans la mer, d'autres poussaient des
hurlements si affreux qu'on les entendait de toute part dans le vaisseau. Il n'y a point de
cachot qui puisse vous donner une idée de la misère où ils étaient " .
" Représentez-vous un endroit, grand comme nos galetats, où la lumière ne pénètre presque jamais,
et où à peine peut-on marcher droit, tout rempli de paillasses, au-dessus desquelles sont des
toiles de la longueur d'un homme et de largeur de deux pieds, attachées par les deux coins à
des clous, qui servaient également de lits à ces pauvres malheureux, de sorte qu'il y en avait
près de quatre cents dans un si petit espace. Dans un état si triste, nous autres prêtres,
aurions-nous été oisifs? Je vous donne à penser ce qu'on fait et ce qu'on doit faire dans ces
circonstances.
Cependant le mal augmentait et nous tâchions de nous approcher le plus que nous pouvions de Québec.
L'équipage dépérissait de jour en jour, et à peine (en) avions-nous qui pût faire la manoeuvre.
Les officiers étaient obligés de la faire eux-mêmes, et quiconque avait de la force mettait la
main à l'oeuvre. Nous avions beau arborer le pavillon qui est le signe de l'incommodité et qu'on
a besoin de secours, qui que ce soit ne venait. " " Voulions-nous aborder avec notre chaloupe,
on ne nous voulait point recevoir et on regardait ceux qui y étaient comme gens frappés de
contagion. "
Enfin, l'intendant Gilles Hocquart, averti de la présence d'une chaloupe provenant du Rubis,
répond à la demande du capitaine et fait expédier deux bâtiments où se trouvent des pilotes
et des matelots destinés à remplacer les malades. Le Rubis poursuit sa route vers Québec,
escorté de l'un des navires qui s'étaient portés à son secours, pendant que l'autre filait à
Québec avec cent dix malades. L'intendant écrit, le lendemain " J'ai reçu quatre-vingt-onze
malades que j'ai fait placer à l'Hôtel-Dieu et dans l'hôpital que j'ai fait préparer près du
Palais."
Lorsque Le Rubis arrive à Québec, le 12 août 1740, à dix-neuf heures, monseigneur de Lauberivière
y est déjà depuis quatre jours, car l'intendant lui avait envoyé une chaloupe particulière pour
le conduire de l'Ile-aux-Coudres à Québec où il fut accueilli par presque tous les habitants.
Le nouvel évêque n'était âgé que de vingt-neuf ans. Oubliant momentanément leur peur de la
contagion, " les grands et les petits se disputaient le plaisir de le voir " .
Malheureusement, le 20 août suivant, monseigneur de Lauberivière mourait, atteint du mal appelé
fièvres pourpres.
Plus de soixante personnes sont mortes, atteintes par ce mal subit. Les hôpitaux de Québec
recueillirent environ cent soixante malades; les morts furent inhumés à leurs frais, lorsqu'ils
laissaient quelques biens ou quelqu'argent, ou aux frais de la société qui leur réservait le
cimetière des pauvres.
Source : Nos racines p 28
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