Bonjour à tous
Morts Violentes - 2
de Léonard Bouchard, écrivain et historien.
Corriveau Marie-Joseph, "La Corriveau", a péri sur l'échafaud à Québec.
L'auteur de ces pages croit bon de présenter une étude davantage exhaustive sur "La Corriveau".
Cette femme assassin, en effet, a tellement hanté les esprits pendant deux cents ans et elle les
hante encore de nos jours, qu'il est bon d'offrir aux lecteurs une page succincte sur les événements
avec le plus d'exactitude possible et de laisser de côté les récits aussi farfelus que nombreux que
l'imagination populaire a engendrés et qui sont entrés dans le folklore de la littérature québécoise.
Marie-Joseph Corriveau était la fille de Joseph Corriveau et de Françoise Bolduc, de Saint-Vallier de
Bellechasse. Ces derniers s'étaient épousés à Saint-Joachim de Montmorency, paroisse de la résidence
de la mère de la Corriveau. Ce couple, à Saint-Vallier, donna naissance à neuf enfants, dont
Marie-Joseph "La Corriveau", née le 29 octobre 1 729, à Saint-Vallier. Elle épousa Charles Bouchard,
en premières noces, le 17 novembre 1749, à Saint-Vallier. Charles Bouchard était cultivateur et était
issu du mariage de Nicolas Bouchard et d'Anne Sylvain, qui s'étaient épousés à Château-Richer.
Ce ménage occupa cinq domiciles successifs: Sainte-Anne-de-Beaupré, Berthier, Saint-Thomas de Montmagny,
Rimouski, et enfin Saint-Thomas de Montmagny à nouveau, où l'un des dix enfants, Charles, résidait
lorsqu'il convola avec "La Corriveau", à Saint-Vallier. II avait 23 ans et elle, 16. Le couple
Bouchard-Corriveau donna naissance à trois enfants durant leurs onze ans de vie de ménage. V. Charles
Bouchard ( I I) .
Le 25 avril 1760, mourait de façon soudaine Charles Bouchard et il fut inhumé le 27. Après les
bouleversements d'usage occasionnés d'ordinaire par une mort subite, tels que lamentations,
larmes déchirantes, apitoiements sincères ou non, avec cette fois un mélange d'observations
étranges mais discrètes par rapport à cette mort inopinée, le bruit court et c'est comme une
traînée de poudre que "La Corriveau" s'est débarrassée de son mari, en lui versant, tendis
qu'il dormait, du plomb fondu bouillant dans une oreille. La justice cependant ne s'arrêta pas
sur la portée de ces rumeurs qui avaient tout de même assez de poids pour en faire l'objet d'un
beau procès. II n'est pas exclu en vérité que Charles Bouchard ait été assassiné par sa femme,
peu importe les moyens qu'elle ait pu employer pour en arriver à ses fins.
En 1761, quinze mois après le décès de son premier mari, Marie-Joseph Corriveau se remariait à Louis
Dodier, aussi cultivateur du même endroit. Après trois mois de vie de ménage, "La Corriveau"
assassinait son second mari, dans la nuit de 26 au 27 janvier 1763, en le frappant, au dire des
voisins, de plusieurs coups de broc à la tête, alors qu'il dormait. Pour dissimuler son crime et
brouiller la piste éventuelle de la Justice, elle traîna sa victime dans l'étable de la ferme,
l'immobilisa derrière un cheval qu'elle espérait faire passer pour l'auteur du massacre par des ruades.
Les voisins et les parents du couple Dodier-Corriveau trouvèrent invraisemblables et indignes de foi
les circonstances trompe-l'oeil de cette mort. C'est pourquoi les autorités judiciaires furent saisies
de l'affaire. "La Corriveau" et son père furent alors formellement accusés et traduits devant la cour
martiale. A cette époque, en effet, le gouvernement était passé aux mains des Anglais et on était en
plein régime militaire.
"La Corriveau" jouant d'astuce et de perfidie alla jusqu'à entraîner son père à s'avouer coupable
du meurtre de Louis Dodier. A la suite de ces aveux louches, Marie-Joseph Corriveau et son père
furent sans délai formellement condamnés : Joseph Corriveau, à être pendu et sa fille à recevoir,
comme complice, 60 coups de fouet à neuf branches sur le dos nu, à trois stations distancées dans
les rues de Québec, et à être marquée d'un fer rouge à la main gauche avec la lettre M, (meurtrière).
Ces sentences ne furent pas exécutées. Joseph Corriveau, avant que n'arrive le jour de I'exécution,
torturé par la voix de sa conscience, fit appel aux services du père Augustin-Louis Glapion, supérieur
des jésuites à Québec. A la suite de l'entrevue, le présumé assassin dut dénoncer aux autorités en
place sa fille comme étant la seule et unique responsable du meurtre de son mari et démontra que
l'avocat de la couronne, Hector-Theophilus Cramahé, avait fait erreur dans son acte d'accusation
et dans l'interprétation des faits. La Cour s'étant de nouveau consultée le 15 avril pour examiner
plus à fond la cause, vu les récents développements, entendit les aveux de la meurtrière, qui cette
fois, la déclaraient coupable d'avoir tué son mari de deux coups de hache à la tête pendant son
sommeil. Le même jour, une nouveau verdict était prononcé comme suit : ...La Cour martiale générale
ayant fait le procès de Marie-Joseph Corriveau accusée du meurtre de son mari Dodier, l'a trouvée
coupable, le gouverneur (Murray) ratifie et confirme la sentence suivante: Marie-Joseph Corriveau
sera mise à mort pour ce crime, et son corps sera suspendu dans les chaînes...
On ajoutait que ce jugement était en conformité avec la loi anglaise.
C'est au couvent des ursulines de Québec, dans l'aile de la Sainte-Famille, aux rez-de-chaussée,
que le général Murray assemble dans les premiers temps son conseil militaire et privé... C'est dans
cette salle que fut jugée la célèbre affaire de la Corriveau.
L'exécution eut lieu sur les Buttes-à-Nepveu, près des Plaines d'Abraham, probablement le 18 avril 1763.
Son cadavre fut mis dans une cage de fer accrochée à un poteau, à la fourche des quatre chemins, qui
se croisent dans la Pointe-Lévis, près de l'endroit où fut plus tard le monument de tempérance, à
environ douze arpents à l'ouest de l'église, et à un arpent du chemin. Les habitants de la
Pointe-Lévis, peu réjouis de ce spectacle, demandèrent aux autorités de faire enlever cette cage,
dont le vue, le bruit et les apparitions nocturnes tourmentaient les femmes et les enfants.
Ce n'est qu'à la fin de mai que sur l'ordre de James Murray, des gens allèrent la déposer dans
le cimetière, en dehors de l'enclos.
Cette disparition mystérieuse et les récits de ceux qui avaient entendu la nuit, grincher les
crochets de fer de la cage et cliqueter les ossements ont naturellement fait passer "La Corriveau"
dans le domaine de la légende. Après l'agrandissement du cimetière, le fossoyeur en 1850 retrouva
la cage qui ne contenait plus que l'os de la jambe. Cette cage était construite de gros fer
feuillard et épousait la forme du corps humain. Après avoir été exposée quelque temps à titre
de curiosité à Québec, elle fut vendue au Musée de Barnum, à Boston.
Luc Lacoursière, Le triple Destin de Marie-Josephte Corriveau, Cahiers des Dix, )XXIII (1968),
Le Destin posthume de la Corriveau, Cahiers des Dix, XXXIV (1969) : 239?271. - BRH, (1904):
316-319. - DBC, 111: 316-319.
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